Entrevue avec le Professeur Denis Saint-Martin
Le rôle de la Commission Charbonneau dans la lutte contre la corruption Réservez votre place
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ENTREVUE : Le rôle de la Commission Charbonneau dans la lutte contre la corruption |
Dans cette entrevue, le Professeur Denis Saint-Martin, Professeur titulaire au Département de Science politique de l’Université de Montréal et Membre du comité de suivi de la Commission, nous en dit plus sur le rôle de la Commission Charbonneau dans la lutte contre la corruption au Québec.

Professeur Denis Saint-Martin
Professeur titulaire au Département de Science politique de l’Université de Montréal
Membre du comité de suivi de la Commission
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Selon vous, est-il juste d’affirmer que le Québec est une province qui connait un problème de corruption et de collusion plus marqué que la moyenne ou plutôt qu’elle est simplement plus exposée en raison de notre lutte active contre ce problème, notamment grâce aux commissions d’enquête ?
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Le Québec de l’ère Duplessis était profondément corrompu. Cet héritage peut faire croire à certains que la province demeure plus à risque face à la corruption. Mais la Révolution tranquille et les réformes de l’administration publique qui en sont issues, ont largement éradiqué les mauvaises pratiques du passé. Les indicateurs utilisés dans les classements internationaux associent typiquement le Québec aux régions du monde qui ont une bonne « qualité de gouvernement ».
L’attention plus grande accordée à la corruption au Québec ne montre pas un problème de corruption qui serait plus grave ici que sur le reste du continent nord-américain. Elle émane plutôt de la réactivité (responsiveness) des élus face aux pressions de l’opinion publique. Toutes les sociétés ont des problèmes de corruption. Mais peu suivent l’exemple du Québec et mettent sur pied des commissions indépendantes pour la débusquer et l’exposer en public. En règle générale, la classe politique et le monde des affaires peuvent hésiter à reconnaître l’existence de la corruption au sein de leur société, car cela peut faire fuir les investisseurs. La Commission Charbonneau est l’exception qui confirme la règle. Sa création est le signe d’une saine gouvernance, et non du contraire.
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Quel a été votre rôle dans le comité de suivi? Est-ce une pratique commune à la suite d’une commission d’enquête de mettre en place un comité de suivi comme celui-ci ? Quelles ont été les principales conclusions de ce suivi ? |
Le comité public de suivi à la Commission Charbonneau a été constitué pour éviter que son rapport soit « tabletté » et oublié par les dirigeants politiques. C’est en tant que professeur d’administration publique et chercheur travaillant sur le thème de la corruption que j’ai été invité à me joindre au comité de suivi.
Mon rôle a surtout été d’analyser, valider et interpréter les données fournies par le gouvernement sur l’état d’avancement de la mise en œuvre des recommandations de la commission Charbonneau, et de contribuer à présenter ces données dans un format simplifié et facilement accessible lors de la parution des rapports annuels. À ma connaissance, le comité de suivi est assez unique en son genre. Il s’agit d’un comité non-partisan d’experts-citoyens dont le travail touche la lutte contre la corruption.
Les rapports du comité ont généré l’attention des médias et de l’opposition et ils ont contribué à exercer une certaine pression sociale et politique sur les décideurs. Notre dernier rapport indiquait que près de 70 %, soit 41 des 60 recommandations, avaient été appliquées partiellement ou complètement.
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À partir de ce nombre de recommandations appliquées, peut-on en déduire une réussite de la commission Charbonneau ? S’agit-il d’une application appréciable des recommandations comparativement aux autres commissions d’enquête ? |
« Appréciable » semble être le terme approprié. Cependant, il est difficile de savoir si cela est plus important que les autres commissions comparables. Si la comparaison concerne des commissions d’enquête sur la corruption dans d’autres pays ou juridictions, dans ce contexte, la commission Charbonneau est une réussite.
La recherche montre que les chefs politiques n’ont pas tendance à s’engager de façon crédible dans la lutte contre la corruption. Ils peuvent adopter des recommandations, des lois et des structures qui apparaissent plus contraignantes, mais qui sont rarement mises en œuvre.
Le comité de suivi a été créé pour que éviter que cette tendance s’applique au rapport de la commission Charbonneau.
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Aujourd’hui, 10 ans après la commission Charbonneau, si elle était à refaire complètement et en considérant les conclusions du rapport de l’enquête et celles du comité de suivi, qu’aimeriez-vous voir fait différemment ? |
Je pense que la plus grande contribution de la commission Charbonneau a été sa fonction de pédagogie sociale auprès du grand public québécois. Ses travaux télévisés ont été suivis par des milliers de téléspectateurs.
La commission a aidé à faire comprendre aux citoyens que la corruption n’est pas un crime sans victime. Quand les corrompus s’accaparent des sommes d’argent volées au trésor public, les ressources dans nos écoles, hôpitaux, etc… diminuent. Toute la société en paye le prix.
Si les citoyens pensent que la corruption est « naturelle » à l’espèce humaine, ils s’habituent alors à l’accepter et ils peuvent devenir plus cyniques et désintéressés de la politique.
Je pense que la commission Charbonneau aurait pu davantage, dans son travail et ses recommandations, mettre l’accent sur cette dimension éducative et préventive. Les lois coercitives c’est bien, mais l’éducation et la conscientisation c’est mieux. Cela coûte moins cher et fonctionne plus longtemps.
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